dimanche 23 décembre 2012

Enfants des rues : en sortir ou y rester ?


Orphelins, maltraités, déçus ou chassés par leurs parents, de famille très pauvres, trop d'enfants vivent dans la rue des années durant. Certains tentent de se réinsérer, d'autres, endurcis, disent ne plus vouloir d’autre mode de vie.
Bien des causes peuvent mener des enfants à vivre dans la rue : décès des parents, pauvreté, maltraitance… C’est le cas, par exemple, de Byamungu Kamundu : "J’ai 16 ans, je ne connais pas ma mère. Je vivais avec mon père chez mon oncle maternel. Lorsque mon père partait travailler, la femme de mon oncle et mes cousins me rendaient la vie dure. Je ne suis pas arrivé à le supporter. Alors j’ai décidé de vivre dans la rue. C’était en 1999, et j’y suis toujours." Si l’on écoute leurs récits, on comprend que nombreux sont les enfants lestés de tels rejets familiaux. Smith Etumba, membre du Parlement d’enfants de Goma, confirme cette perception, en évoquant ses "collègues enfants" : "La majorité d’entre eux n’ont pas de parents, beaucoup d’autres vivent dans la rue suite au divorce de leurs parents, qui ne veulent plus les avoir à charge. Souvent, si l’un se remarie, la nouvelle famille accepte mal les enfants nés d’un premier lit."
S’il y a la pauvreté qui ne laisse pas le choix ("Je n’avais plus de parents, je n’avais pas d’autre moyen de surivre que de vivre dans la rue", témoigne un jeune), il y a aussi ceux qui rejettent toute autorité pour être "libres". "J’ai mon père et ma mère, mais je veux vivre ma liberté. Je veux vivre seul sans que personne ne dirige ma vie. Dans cette vie, je fais ce que je veux", assume un autre enfant de la rue, les yeux rougis par la consommation de drogue.


Responsabilité partagée
A 20h, un samedi à Goma, nous avons rencontré une marmaille d’enfants de 6 à 10 ans autour d’un feu. "Ma maman est trop sévère avec moi. Tout ce que je faisais était mauvais. Voilà ce qui m’a révolté et aujourd’hui je mène cette vie", raconte le plus âgé du groupe. "Cela fait un an que je suis parti de chez nous. Ma mère m’avait envoyé au marché. J’ai perdu l’argent, et elle m’a chassé en me disant de ne pas revenir tant que je ne l’avais pas retrouvé", regrette un autre. "Moi, c’est plus compliqué, continue un troisième, âgé de 12 ans. Mon père avait chassé ma mère. Un jour, il ramène une marâtre. Et le calvaire a commencé : elle nous frappait à longueur de journées, nous injuriait. On ne pouvait manger que quand papa était là. Finalement elle a convaincu un pasteur de nous accuser de sorcellerie ! Et notre père a accepté cela. Cela m’a révolté, et je ne veux plus retourner chez nous tant que cette femme y vit."
Plus loin, les membres d’une autre bande revendiquent leur condition d’enfants de la rue et n’évoquent pas de maltraitances famililales. "J’aime vivre ainsi. Personne ne m’a obligé. Ici je fais tout ce qui me vient à l’esprit. Comment faire dans une famille qui ne m’autoriserait pas à fumer le chavre ou à boire mon Sapilo (alcool fort, NDLR) ? Ma vie est libre ici. Et je n’aime pas ces gens qui viennent nous prendre pour nous amener dans des centres d’encadrement."

Résistances et plaintes
Malgré tout, certains profitent de ces structures qui prônent la protection de l’enfant à l’occasion d’une dislocation familiale ou de brimades : "Il y a 15 jours, on a convoqué un couple en pleine séparation qui s’est disputé la garde des enfants. Grâce à notre action, nous avons réussi à les départager en faveur des enfants. D’abord, en incitant à poser des garde-fous quant aux biens familiaux. Le père a signé devant nous et ses enfants un document attestant qu’il ne vendra pas la parcelle inscrite sous le nom des enfants et de leur mère qui n’aurait eu ni la sécurité physique ni la sécurité matérielle pour subvenir aux besoins des enfants", raconte Smith Etumba.
Le Parlement d’enfants est ainsi très actif sur le sort des enfants de la rue : "Dans le dernier trimestre, le Parlement d’enfants a fait le monitoring de quinze cas qu’il a dû transférer à la police de la protection des mineurs. Malgré leur lourdeur, tous les dossiers furent tranchés en faveur des enfants délaissés", confirme un policier.
Le phénomène des enfants de la rue reste complexe. Certains parents reconnaissent leurs failles. Mais, devant le sort de leurs enfants, ils peuvent aussi rejeter la responsabilité sur l’Etat congolais. "Cela fait plus de dix ans que mon fils est dans la rue parce que je ne parvenais plus à remplir mon devoir de parent faute de moyens. Je travaille dans l’administration publique et vu ce qu’on me paye, je ne peux même pas payer le loyer d’une maison où vivre avec mon fils", raconte tristement Edouard Kamundu. "Une fois les conditons réunies, poursuit-il, mon fils pourra me revenir, car on discute régulièrement à ce sujet et il est d’accord pour revenir dans la famille. Mais, moi aussi, je suis sous-logé chez mon frère. Aussi je ne veux pas chercher une solution à un problème en en créant un autre."
Rappelons les termes de la Constitution (titre II, chapitre 1, art. 16, 40, 41 et 42 : "L’enfant mineur a le droit de jouir de la protection de sa famille, de la société et du pouvoir public ; l’abandon et la maltraitance des enfants sont punis par la loi ; les parents ont le devoir de prendre soin de leurs enfants et d’assurer leur protection à l’intérieur et à l’extérieur du foyer ; les pouvoirs publics ont l’obligation d’assurer une protection aux enfants en situation difficile et de les défendre devant la justice"… Nous avons tenté de joindre les autorités des domaines sociaux et de la jeunesse à ce sujet. Sans succès.
Alain Wandimoyi

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